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Photo du rédacteurmariarieger

Dyade




Je suis née Numéro Deux. C’est tout du moins ce que stipulaient les papiers dûment remplis par mon Créateur à la mairie pour déclarer la naissance de ses nouveau-nés : Maria Julia, jumelle numéro 2.

Un simple symbole posé sur un bout de papier, qui pourtant suscita longtemps en moi l’incompréhension la plus vive, voire une colère sourde mais bien réelle qui s’exprimait seulement par intermittence avec l’inconstance des éruptions d’un volcan endormi.

Après tout, nous étions nées par césarienne…qui serait sortie en premier, si le recours à cette intervention ne s’était pas imposé ?

C’est en tout cas l’histoire que je me racontais.


Un simple symbole qui faisait de moi une « extra », celle qui était venue « en plus » mais qui n’était peut-être pas attendue. Celle qui ne pouvait pas avoir d’existence en soi ou par elle-même puisque « Deux » présupposait l’existence d’un « Un ».

Même mon poids de naissance était une succession de 2 : 2220 grammes, pour être précise.

Cet état de fait me perturbait plus que de raison, et semblait avoir une grande influence sur ma vie puisque je me comportais comme une numéro Deux : plus timide que ma jumelle, d’une timidité parfois sauvage, je restais tapie dans l’ombre. Ma sœur, au contraire, en parfaite numéro Un, n’éprouvait ni honte ni gêne à se mettre sous les projecteurs.

En parfaite numéro Deux, je ne songeais pas même à trop m’approcher du soleil, car il me semblait que la place était déjà prise.


Ce « Deux » renforçait d’une certaine manière la dualité dans laquelle je vivais : née de parents polonais en France, je passais constamment d’une langue à une autre, avec la claire perception que l’univers ne se limitait pas au mien. Comme beaucoup d’enfants d’immigrés, j’avais parfois le sentiment d’être écartelée entre deux mondes. Ce qui s’apparentait alors à un déchirement pouvait prendre d’ailleurs de nombreuses autres formes : si la science me fascinait et que, un peu plus tard, je ne manquais jamais une occasion de défendre ce qu’on appelle la « méthode scientifique », j’étais irrémédiablement attirée par ce qui n’avait pas nécessairement – tout du moins, pas encore… – d’explication « rationnelle » et tout ce qui, dissimulé sous les voiles du cartésianisme et des conditionnements sociaux ou culturels, n’était pas perceptible par les yeux. Même enfant, surtout enfant d’ailleurs, j’avais une connexion particulière avec l’invisible et l’idée de quelque chose de plus grand que ma propre humanité m’apparaissait comme une évidence. Je parlais à des morts, à des animaux. Parfois même aux nuages et au souffle cajoleur du vent.

Mon attrait pour le dessin, que je pratiquais des heures ou des jours, ne me détournait pas pour autant des mots. Après tout, l’année de mes dix ans coïncida avec un record jamais inégalé depuis : j’avalais 250 livres en 365 jours, parfois à la pâle lumière d’une lampe torche dissimulée sous une couette et au regard réprobateur de mes Créateurs, soucieux de la longueur de mes nuits. Je ne rejetais pas davantage les chiffres sous prétexte que les mots me fascinaient. Ils exerçaient sur moi une attraction équivalente, en tant que tels : de purs symboles, qui semblaient porter en eux bien plus que l’abstraction apparente de leurs courbes ou de leurs lignes.

Avec le temps, on me fit bien souvent remarquer que j’étais capable de comprendre, parfois même d’expliquer, deux points de vue parfaitement opposés, comme s’il était tout à fait normal d’envisager systématiquement les deux côtés de la médaille.


Ombre et lumière… Je réalise aujourd’hui que mes créations visuelles reflètent justement ces deux dimensions : je suis surprise de constater à quel point mes collages, créés spontanément quoi qu’en suivant toujours rigoureusement une histoire, peuvent s’avérer sombres, voire inquiétants, révélant les ombres tapies au plus profond de mon cœur, ou d’ailleurs. Mes dessins au contraire - quoi qu’il fut toujours question de cœur (mais ex-voto, cette fois-ci) –, qui font l’éloge du vivant et des liens, se situent du côté lumineux.

Même ici, lorsqu’il s’agit d’écrire sur les réseaux sociaux, je n’arrive pas à choisir entre le français et mon anglais boiteux : un anglais boiteux certes, mais dans lequel mon grain de folie s’exprime étrangement plus facilement.


Mais j’ai tendance à penser que si la Vérité avait un nom, ce serait « Et » : plus on met du « Ou » dans sa vie, plus on créé du conflit, de la tension. Plus on met du « Et », plus on génère de l’unicité et de la puissance.

Il semblerait que tout puisse exister ou cohabiter dans la vie en même temps.

C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que vient s’ajouter un O/zéro en plus de ma série de 2 à mon poids de naissance : cet espace « entre-deux » qui réunit les contraires, à la frontière des nombres positifs et négatifs, là où les liens entre des mondes, des univers qui semblent parfois séparés, peuvent surgir.

Le point zéro ou la matrice de création par excellence, à la fois l’origine de toute chose et le champ des limites à atteindre.


Surtout, j’ai fini par réaliser que j’ai beau être numéro Deux, je suis la seule à avoir à la fois le nom d’une partie et d’un tout.

2 x 1 = 2.



2 est le plus petit nombre premier, et c’est le seul pair.


C’est aussi le premier nombre magique…

en physique nucléaire.




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