Au commencement étaient le verbe et la paupière de chat siamois

Imaginez-vous quand d’emblée, au premier souffle terrestre, vous prenez conscience que vous n’êtes pas seule...L’Autre et l’Ailleurs, qu’on découvre avec stupeur en grandissant, ce lent apprentissage de l’altérité, vous saisit.

Vous n’êtes pas seule, et vous n’en ferez d’ailleurs jamais vraiment l’expérience. Car l’Autre se tient tout proche, sous la forme d’un frêle nourrisson, aussi frêle et délicat que vous... une jumelle. Qui ne vous ressemble pas, malgré tout : un visage différent, une tête un peu plus ronde, des yeux couleur d’eau et des paupières de chat siamois.

Bio

L’Ailleurs se tient juste à côté : il se fait lui aussi tout proche, si proche qu’il se confond avec les battements de votre cœur. Vous réalisez soudain que vos parents parlent une langue différente des autres. Des chuintements réguliers s’échappent de leurs bouches : un choumchoum qui rappelle les chuchotements aériens qu’on égrène avec une prudence indolente dans les églises. Le bruissement d’une rivière s’écoulant sans heurt dans son lit, peut-être. Les « o », les « a » et les « e » sont plus ouverts, les « r » roulent sous la langue et s’échappent du palais où ils sont cueillis en fendant l’air avec enthousiasme. Du polonais... D’emblée, me voilà entre deux mondes, avec la conscience aigüe que l’univers ne se limite pas au mien.

C’est tout du moins l’histoire que je me raconte. L’origine d’un appétit coriace pour cet Autre et cet Ailleurs - en dehors comme en dedans - et d’une disposition particulière pour me tenir aux intersections, établir des ponts entre des univers ou des sujets en apparence éloignés. Mes récits, mes dessins et mes créations visuelles en sont le reflet, avec au cœur l’envie d’explorer les liens avec le « plus grand que soi » : la communauté des vivants, la nature, l’univers et ses lois visibles comme invisibles, et tout ce pour quoi nous n’avons pas toujours les mots.